Le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) est devenu un des leviers déterminants lors de la vente d'un bien immobilier. Depuis la réforme de la méthodologie entrée en vigueur le 1ᵉʳ juillet 2021, la manière dont la performance énergétique est évaluée a été profondément modifiée, avec pour objectif de rendre les résultats plus fiables, comparables et neutres vis-à-vis des usages. Cette mutation du DPE s’inscrit dans la stratégie de la loi « Énergie-Climat » visant à éradiquer progressivement les logements « passoires thermiques » (classes F et G).
Mais sur le terrain, quel est l’impact concret d’un mauvais DPE sur le prix d’un bien ? Quelle marge de négociation les acquéreurs exigent-ils ? À quel point les biens classés F ou G sont-ils « pénalisés » ? Et comment ce phénomène évolue-t-il selon les régions, les typologies ou les profils d’acheteurs ?
La réforme du DPE (2021) : un virage décisif
Jusqu’à mid-2021, le DPE souffrait de biais : les résultats pouvaient varier selon les usages du logement (température de chauffage, comportement des habitants), ce qui rendait l’évaluation peu rigoureuse. Avec la nouvelle méthodologie, l’étiquette est désormais calculée à partir des caractéristiques techniques (isolation, systèmes de chauffage, ventilation, etc.) et non plus principalement en fonction des consommations constatées.
Ce changement a eu pour effet de « déclasser » de nombreux logements : la part des biens classés F ou G s’est accrue, selon plusieurs sources, de l’ordre de 8 %.
De plus, la législation encadre désormais plus strictement l’usage locatif des biens les plus énergivores. Ainsi :
- Les logements classés G ne peuvent plus être mis en location depuis le 1er janvier 2025.
- Les logements classés F seront interdits à la location à partir de 2028.
Le volume des annonces de passoires thermiques est en forte augmentation
L’un des premiers effets visibles de cette évolution de la réglementation a été l’augmentation du nombre de biens classés F ou G mis en vente. Plusieurs indicateurs le confirment :
- Selon SeLoger, les annonces de logements énergivores représentent désormais 19,2 % des biens en vente, contre 16 % un an auparavant.
- À l’échelle nationale, 17 % du parc immobilier français est estimé classé F ou G, soit environ 2 millions de logements.
- Parmi les propriétaires, 31 % des propriétaires de résidence principale ont envisagé la vente en raison d’un mauvais DPE, et ce taux monte à 39 % pour les propriétaires de biens locatifs.
- À Paris, au moment du changement de réglementation, le nombre d’annonces de passoires thermiques a été multiplié par 4.
- Inversement, dans certaines villes comme Marseille, les passoires représentent une proportion faible (4 % des biens en vente).
Cette surabondance relative d’offres “énergivores” tend mécaniquement à peser sur les prix de vente.
Quelle décote moyenne pour un logement classé F ou G ?
L'impact d'un mauvais DPE sur le prix des biens est compliqué à apprécier.
Estimations nationales : jusqu'à –15 %
Plusieurs études convergent vers une décote de l’ordre de –3,9 % pour les logements énergivores (F ou G) par rapport aux logements mieux notés (A à E). C’est notamment le constat de Meilleurs Agents et SeLoger.
Cette décote parait bien faible comparativement à ce que remontent d’autres études plus alarmistes :
- Selon Le Journal de l’Agence, les passoires thermiques sur l’ensemble du territoire subissent une décote moyenne de 15 %
- Boursorama reprend cette estimation de – 15 % mais précise qu’à Paris, la décote moyenne reste inférieure à 10 %.
- Une enquête de Notaires de France, relayée par Allodiagnostic, indique que les biens affichant un mauvais DPE (E, F ou G) se vendent entre 2 % et 19 % moins cher que les biens classés D.
- D’autres sources évoquent des écarts pouvant aller jusqu’à 25 % selon les territoires.
- Infodiag évoque des cas où la décote atteint entre 230 et 670 €/m² selon les villes, ce qui peut représenter des pertes dépassant parfois 20 % du prix du bien.
En résumé, la décote réelle varie énormément selon le secteur géographique, le type de bien (maison vs appartement), l’ancienneté, l’offre locale, etc. Une estimation prudente se situe entre –4 % et –15 %, mais dans certaines configurations, la perte peut être bien plus sévère.
Décote selon la classe DPE (Crédit Logement)
Une étude du Crédit Logement propose une grille indicative de l’impact du DPE sur les prix :
A ou B | + 4,2% |
C | + 2,8% |
E | - 2,9% |
F | - 6,3% |
G | - 9,7% |
(Source : Crédit Logement)
Cette estimation souligne que l’écart le plus marqué se manifeste entre les extrêmes : les biens très performants sont valorisés, tandis que les biens les plus énergivores sont sévèrement pénalisés.
Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de moyennes nationales : dans certaines zones tendues, l’impact sera atténué, tandis que dans les zones périphériques ou rurales, il pourrait être amplifié.
Négociation accrue, durée de commercialisation allongée : les effets indirects
Au-delà de la décote sur le prix affiché, un mauvais DPE se traduit par des effets multiplicateurs dans le processus de vente.
Une marge de négociation plus forte
Les acquéreurs considèrent de plus en plus l’étiquette énergétique comme un levier de négociation :
- En France, la marge de négociation moyenne pour les biens classés F ou G atteint – 5,6 %, contre – 3,7 % pour les biens bien classés.
- Le Journal de l’Agence note que la marge de négociation peut monter à 5,9 % pour les passoires thermiques, contre 3 % pour des biens classés D.
- Selon Meilleurs Agents on constate une négociation moyenne de 7,4 % pour un bien mal classé, soit près du double de celle d’un bien avec un DPE correct.
- Selon une enquête OpinionWay pour SeLoger, 79 % des vendeurs de résidence principale et 57 % des vendeurs de biens locatifs se disent prêts à baisser le prix en cas de mauvais DPE.
- Par ailleurs, 40 % des acquéreurs déclarent qu’un mauvais DPE constitue un levier de négociation important.
Ainsi, il ne suffit pas d’afficher un prix réduit : les acquéreurs exigent souvent des concessions supplémentaires pour « compenser » le surcoût futur des travaux de performance énergétique.
Allongement du délai de vente
Un DPE médiocre ralentit le cycle de transaction :
- Au 1ᵉʳ janvier 2025, les logements classés F ou G restent en moyenne 84 jours sur le marché, contre 79 jours pour les biens classés A à E — soit un allongement de 5 jours.
- Selon le Journal de l’Agence, cet écart s’exprime aussi dans la marge de négociation (5 jours d’écart) et dans le prix au m² (– 452 €/m²).
Effets indirects liés au financement
Un mauvais DPE peut aussi compliquer l’accès au crédit ou alourdir les conditions :
- Certaines banques exigent un apport plus élevé (souvent 20% au lieu de 10%) pour les biens classés F ou G, afin de couvrir le risque perçu.
- Dans certains cas, les banques peuvent proposer un taux d’intérêt moins favorable pour compenser le risque énergétique.
- Par exemple, pour un logement en classe F financé avec un crédit à 3,40 %, un emprunteur dispose de 40 mois pour réaliser les travaux, après quoi le taux peut passer à 3,10 % si le DPE est remonté à la classe D ou mieux.
- À l’inverse, un bien bien noté (A à C) peut bénéficier de dispositions plus favorables, telles que des prêts “verts” ou des taux incitatifs (prêts à l’efficacité énergétique, éco-PTZ, etc.).
- Enfin, les organismes de crédit prennent de plus en plus en compte la valeur verte du bien dans leurs calculs d’assurance ou de garantie. Deloitte souligne que l’étiquette énergétique devient un facteur de valorisation ou de décote intégré dans les modèles d’évaluation immobilière des banques.
Cas concrets : des décotes massives observées en 2025
Les dernières données publiées confirment que la décote liée au DPE n’est pas une abstraction, mais une réalité tangible.
- D’après Le Monde, une étude croisant données notariales et fiscales en 2024 (réalisée par Ithaque) indique qu’une maison mal classée perd en moyenne 180 000 € de valeur, avec des pics de 254 000 € à Bordeaux, 237 000 € à Lyon ou 217 000 € à Montpellier. Pour les appartements, les pertes s’échelonnent entre 237 et 660 € / m², soit de 20 000 à 49 000 € en moyenne selon les villes. À Paris, par exemple une étiquette F ou G entraîne une perte d’environ 26 000 € pour un bien de 40 m².
- Selon Le Journal de l’Agence (2025), la décote moyenne nationale des passoires thermiques atteint 15 %, soit environ – 452 €/m².
- Empruntis confirme cette estimation de – 15 %, tout en signalant des disparités territoriales importantes.
- R2Diag souligne que les appartements anciens F et G ont vu leurs prix chuter de 6 % en 2023, et dans certaines zones d’Île-de-France la baisse atteint 8 % à 10 % par rapport aux biens classés D.
- Les Notaires de France mettent en lumière que, en 2023, les logements les plus énergivores (F et G) représentaient17 % des ventes dans l’ancien. Dans certaines régions (Île-de-France notamment), cette proportion est structurée : 31 % des ventes à Paris en 2023 concernent des biens classés F ou G.
Ces chiffres illustrent que dans certaines villes, la décote liée au DPE peut représenter plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros, selon la taille et le type de bien.
Pourquoi cette décote ? Les mécanismes à l’œuvre
Plusieurs facteurs convergent pour expliquer pourquoi un bon classement énergétique devient un critère de valorisation, tandis qu’un mauvais DPE pèse sur les ventes.
- Offre accrue de biens déclassés
À l’annonce des interdictions locatives, bon nombre de propriétaires ont anticipé en mettant leur bien sur le marché. Cette sur-offre de passoires thermiques a exercé une pression à la baisse sur les prix de vente.
- Anticipation du coût des travaux
Les acquéreurs intègrent désormais dans leurs offres le coût estimé des travaux nécessaires (isolation, renouvellement de systèmes de chauffage, ventilation, etc.). Ce coût, parfois élevé, fragmente la rentabilité d’un achat et pèse sur l’enveloppe proposée.
- Risque réglementaire et obsolescence
Un bien classéE ou F (les G le sont déjà) risque de se trouver progressivement hors marché locatif, ou nécessitera des travaux contraignants pour rester attractif. Cela génère une “prime de risque” pour l’acheteur, qui sera moins généreux sur le prix.
- Contraintes bancaires et financières
Comme évoqué plus haut, certains établissements de crédit restreignent les conditions ou exigent des garanties renforcées pour les biens énergivores, ce qui peut dissuader les investisseurs ou les primo-accédants.
- Comportement de tri des acheteurs
De plus en plus d’acheteurs filtrent les annonces en amont selon le DPE, voire ne visitent que les biens bien classés. En 2022, plus de 50 % des acquéreurs déclaraient ne visiter que des biens avec un bon DPE, ou considéraient le mauvais DPE comme une cause de renoncement.
- Différentiel de vitesse d’évolution des prix
Depuis juillet 2021, les biens bien classés (A à E) ont vu leurs prix progresser plus fortement que les logements classés F ou G.
- Données de diagnostic contestables / fraude au DPE
Enfin, le DPE lui-même n’est pas exempt de critiques : la Fnaim estime que 70 000 DPE erronés sont produits chaque année, compromettant la confiance des opérateurs. Cette incertitude renforce la prudence des acquéreurs et renchérit la prime de risque applicable aux biens mal classés.
En résumé : quel impact attendre pour votre bien ?
Effet |
Impact |
Conditions |
Décote directe sur le prix affiché |
– 4 % à – 15 % en moyenne ; des cas extrêmes jusqu’à – 25 % ou plus selon la zone |
Typologie, localisation, état général, rareté de l’offre |
Marge de négociation |
– 5 % à – 7 % en plus que pour un bien bien classé |
Contexte de marché, niveau d’urgence du vendeur |
Allongement du délai de vente |
+ 5 jours en moyenne (84 vs 79 jours) |
Attractivité du bien, visibilité de l’annonce |
Complications de financement |
Apport plus élevé ou taux moins favorable possibles |
Politique de la banque, profil acheteur |
Perte de valeur absolue |
Jusqu’à plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros |
Biens de grande surface ou maisons individuelles dans les villes tendues |
Conseils aux vendeurs et perspectives à surveiller
Avant de mettre en vente…
- Réalisez des simulations de travaux : isolation, systèmes de chauffage, etc. Si un relèvement d’étiquette est possible (par exemple passer de G à D ou E), cela peut amortir largement la décote.
- Mettez en avant les atouts énergétiques (isolation neuve, vitrage, chauffage performant) dans l’annonce pour limiter l’effet repoussoir du DPE.
- Soyez vigilant dans le choix du diagnostiqueur : la qualité, la fiabilité du DPE sont essentielles pour ne pas fragiliser la transaction.
- Dans les zones tendues, le marché est parfois moins sensible au DPE ; dans les zones moins dynamiques, il devient un critère discriminant.
Ce qu’il faut surveiller dans les années à venir
- Le gouvernement prévoit une réforme du DPE au 1ᵉʳ janvier 2026, avec une baisse du coefficient de conversion de l’électricité (de 2,3 à 1,9). Cette modification pourrait “reclasser” certains biens F ou G en étiquette supérieure sans travaux, ce qui pourrait atténuer leur décote.
- L’obligation d’un audit énergétique pour les biens classés E, F ou G avant vente est entrée en vigueur. Elle est pour le moment limité à certains biens mais pourrait s'étendre dans les années à venir.
- Le renforcement des contrôles des diagnostiqueurs tend à améliorer la fiabilité du DPE, ce qui profitera aux biens bien classés et pénalisera davantage les anomalies.
- L’impact du « prix vert » (valeur additionnelle des biens performants) devrait se renforcer, notamment dans les zones périurbaines et rurales où l’offre énergétique devient un critère de différenciation.